À propos d'Hubert
Hubert
Julien Clément
"-C'est quoi, un flanker ?"
Il tire sur sa cigarette. Ses frères aînés sourient. De concert :
"-C'est celui qui est sur le côté de la mêlée. Il est le premier à intervenir : premier à défendre, premier à soutenir les siens quand ils attaquent ; un des plus beaux postes du rugby."
Un jour, plus tard, il est parti, en claquant la porte - moi j'avais quatorze ans. Après qu'il m'ai inoculé le rugby, il laissait une énigme. Je le savais poète, peintre, artiste, en plus de le côtoyer doux, piquant et attachant. Mais il fallait grandir pour entrer dans ces mondes, ses mondes. La porte qu'il claquait était aussi une porte qu'il ouvrait. Aujourd'hui, l'énigme devient espace, où l'on peut se mouvoir, s'enquérir, se réjouir, s'émouvoir, se rencontrer. Merci à ceux qui ont travaillé à cette exposition : maintenant, les pièces sont à l'oeuvre.
(J.C., Exposition Fabras, 2008)
Hubert, l'éveilleur
Fanny Vielajus
18 ans en 68......
Pour lui ce n'était pas un jeu de petit bourgeois en mal d'aventure, son insolente séduction, son charme envoutant, son ironie décapante cachaient une puissance et irréversible révolte, celle du combat de l'ombre et de la lumière.
Il a réveillé nos consciences et secoué nos évidences, lui le soleil inversé. En traquant nos illusions, en se moquant de nos certitudes, en démasquant nos faux enchantements, en nettoyant le désert de nos consolations faciles, il a vidé nos valises de tous les bagages qui nous rassuraient pour nous obliger à affronter le réel et à chercher la lumière.
Il a fait le travail de l'hiver pour que nous puissions voir le printemps. En hurlant à l'absurdité du monde, en se jouant de l'impertinence des choses et des gens, il a cherché le sens en espérant autre chose que le monde.
Seule la démarche artistique lui a donné les moyens de traverser les frontières pour explorer cet ailleurs impensé et immense.
Hubert, le passeur, l'allumeur de réverbère...
(F.V., Exposition Fabras, 2008)
Imprononçable
Patrick Combes
D'Hubert Stérin, cette pensée d'abord : celle d'une rencontre essentielle, de celles qui fondent les années, qu'on oublie qu'à proportion que le temps lui-même nous emporte. Qui était-il ? Le souvenir de ces années d'amitié n'oblitère pas le reste, que je ne connais d'ailleurs que lacunairement, mais lui donne au contraire peut-être un peu de sens. Sa biographie serait l'exercice le plus difficile - et il aurait bien entendu jugé, ironiquement, l'entreprise dénuée de la raison. Un témoignage même est malaisé ; il faudrait dépasser à la fois mémoire factuelle et émotion pour dire ce qu'on a vécu auprès de lui.
Nous faisons connaissance au printemps 1982, au moment où il entre dans la vie de Marie Balvet et elle dans la sienne - décisivement. Nous sommes, lui et moi, aussitôt, dans une relation très singulière : une femme entre nous, qui nous rapproche, qui nous séparera. Il écrit, il peint, il embrasse la vie avec exigence, passion - il est rare, drôle, déchiré, entier, secret. Puissant. Marie, la littérature, la création, la musique, nous seront quelques années territoire commun. Des semaines ensemble dans un presbytère près de Troyes, et Florence (champagne dans le train, les Offices, l'Arno), la journée à Château-Thierry, et ces fêtes rue du Conservatoire de Paris, et l'écriture, les mots, les nuits, les projets - tout devient, un moment, partage à trois, à deux. Un songe de phalanstère intime ; une sorte de fratrie.
Mais Marie n'est pas une soeur - elle est la femme avec qui est scandée, dès l'été 82, la résolution d'une mort commune, parce que la passion amoureuse, la communauté existentielle ne peuvent prendre pour finir - c'est leur vérité secrète, leur histoire respective - que cet ultime objet d'un pacte d'anéantissement. Ils décident d'aller ensemble vers la tragédie. Mais de vivre d'abord. C'est l'époque entre eux du "vous" racinien, qui dit à la fois le plus haut et l'impossible. Il est l'homme sans nom du récit La raison d'être, de Marie, celui aussi de la photo déchirée - visage dont la charge d'humanité vient à nous comme une vérité naturelle ; il est le peintre encore, le peintre mort déjà, vers qui Marie, jouant une dernière fois "Le dédale du silence" de F. Giauque sur scène (mai 95), se tourne pour décliner la violence, la beauté du cante jondo, face à la toile du paysage lumineux, énigmatique, qu'il lui a donnée pour décor.
Il accomplira (est-ce le mot ?) le pacte de Saint-Pouange dix ans plus tard, désespéré, au bout des forces et de la solitude - ses carnets le disent. Et Marie, tuée elle-même par sa mort, prendra à son tour congé trois ans après lui. Dans cette attente, s'ouvrent devant eux des années d'"éréthisme", de conflits et d'amour, le long chemin d'un compagnonnage, d'une reconnaissance qui seront pour chacun, longtemps, la nourriture qui sauve, qui suffit, qui blesse - la vie même. Il est l'amant, le "juge russe" (Journal de Marie), celui qui part et revient, inlassablement, le créateur acharné de chaque nuit, rue des Petites-Ecuries, attiré aussi par les accents du "New Morning" proche, même si c'est Mozart, l'opéra, qui d'abord comptent.
Il écrit romans et poèmes - le profond Diluvienne, de 1984, les très beaux fragments d'Ecliptique (la langue comme une source, savante syntaxe niellée d'éclairs - mais sa richesse est à la mesure de la profondeur d'où elle vient, et on comprend alors que c'est douleur), le Drieu la Rochelle, difficile, avec Marie, l'étude analytique sur Mozart, d'autres textes ; et commence l'épreuve de la non-reconnaissance publique de son travail d'écrivain (pour lequel il a tout abandonné), le refus de l'édition (veut-on de vraies oeuvres encore dans le marché du livre ?), qui lui portent un dur coup. La présentation qu'il donne de l'argument de Diluvienne énonçait le coeur de l'entreprise "scripturaire", ainsi qu'il aimait jouer du mot, et peut-être déjà comme la détresse qu'elle portait : "Cet accomplissement [dans et par une production artistique] n'est pas un salut. C'est un écoulement de temps, de sang et d'encre" ...
Il est peintre aussi. Un grand peintre. Nous avons pu, Christian Bontzolakis et moi, cet hiver, chez sa soeur, (re)découvrir son oeuvre avec surprise : imaginaire, invention, recherche, mises en scène : dessins, collages, encres, cartons peints : un intense travail. Un peintre-poète inspiré : c'est son mot, dans la correspondance : "En regardant la cathédrale d'Albi, sache qu'un jour j'en ai vu toutes les briques en un seul coup d'oeil. A cet instant je fus la cathédrale d'Albi. Au fond, je ne m'en suis jamais remis tout à fait, n'est-ce pas ? " (à Marie, février 83). Ce langage, c'est celui aussi des Carnets qui seront tenus jusqu'au dernier jour d'août 1992, force et dérision, déréliction et poésie très intérieure mêlées jusqu'à l'insupportable, grande oeuvre inédite que nous aimerions pleinement connaître.
L'amitié, comme l'amour, écrit Proust dans La Recherche, sont des illusions. Il n'y a que le désir, la souffrance, la création, l'engagement dans le travail sans fin. Hubert estime un jour qu'il est temps de trancher ainsi dans l'amitié. Il rompt la nôtre, me le fait savoir par l'envoi (nous nous écrivions beaucoup), sans commentaire, du fac-similé d'un long passage, profond, sévère, d'A l'ombre des jeunes filles en fleurs sur l'amitié impossible, qui distrait l'artiste de l'essentiel, c'est-à-dire de l'engagement total de soi, sans retour ; - l'amitié n'est qu'"une abdication de soi" affirme Proust (Folio, 575). Je comprends alors ce qu'il me dit, je le peux. Nous nous quittons ainsi, séparés oui, mais pas étrangers l'un à l'autre. (A sa mort, même éloigné, on pleure l'ami perdu). Nous nous retrouverons plus tard, dans des conditions difficiles, liées à la complexité de la relation que vivent Marie et lui, la suite de déchirures et de regains qui fait leur lien, unique.
Il réunissait les forces, les dons, la volonté d'un grand artiste - enrichis d'une sensibilité au monde qui faisait de lui - détresse et fraternité - un compagnon d'exception. Un mot cependant, tôt, ne venait plus à ses lèvres, le mot bonheur. C'était pour lui sans doute un mot impossible, imprononçable.
(P.C., Mai 2008)
Du côté de la DRAC
Jean Claude Menou
Fonder une direction générale des affaires culturelles, c'est notamment fédérer des talents les uns administratifs, les autres artistiques.
Lorsque l'un des fonctionnaires qui vient constituer votre équipe de direction allie les deux talents d'administration et d'imagination, de rigueur sur le suivi d'un dossier et de fine sensibilité, vous remerciez Dieu et votre hiérarchie de la pertinence de leur choix.
On a compris que c'est le portrait d'Hubert Stérin que je viens de définir et qu'il faut compléter : ce qui m'a laissé le souvenir le plus fort risque d'apparaître futile, et pourtant ! ce sont nos éclats de rire, l'humour et l'irrévérence partagés, nos analyses concordantes, complices, la façon qu'il avait lorsque j'avais défini le but à atteindre de me dire mi-souriant mi-inquiet : "comme j'avais prévu que vous feriez cette analyse, je me suis permis d'avancer un peu, d'anticiper quoi"... et les dossiers défilaient avec prestesse.
Au risque d'apporter une touche d'austérité au portrait d'Hubert, je dois à la vérité de reconnaître qu'il fut pour beaucoup dans la bonne administration de cette DRAC commerçante. Du reste, le dépeindre en excellent commis d'Etat n'altère pas ses autres talents, d'écriture notamment, que je n'ai découverts qu'après mon départ de Champagne. Je me rappelle lui avoir cité un "propos" du philosophe Alain un jour où nous avions capté ensemble pour la Champagne-Ardenne des crédits de construction d'une bibliothèque centrale de prêt qui allaient être perdus sans notre "captation" : "c'est ainsi que l'administration conduit ses folies raisonnables" lui dis-je par antiphrase. "Mais cela me convient tout à fait, répondit-il, des folies raisonnables". Tel était Hubert Stérin avec lequel je n'ai partagé qu'un temps trop bref ; ce partage fut heureux, confiant, authentique.
(J.C.M., Conservateur Général du Patrimoine, Premier directeur général des affaires culturelles de Champagne-Ardenne (1978-1979), 8 mai 2008)
Histoire, brouillon
Marcelo Sztrum
Histoire :
Ce qui est pauvre ou bien ce qui est tout petit ou bien ce a pu être représenté
sous la forme d'un homme mince et tenace face au plus grand des pouvoirs,
touché cet homme, par ailleurs, par un petit rayon de soleil ou bien par une
nuance de bleu...
Voici un début de version française de ce qu'il m'est arrivé d'écrire il y a quelques jours pour Hubert Stérin d'abord en espagnol, puis...
... Puis... pris, moi, soudain, d'une certaine réticence je me suis dit, je vous dis, lecteur, lectrice de ce texte parmi d'autres, ici, de lui, sur lui..., que... ce que j'ai connu de lui, de Hubert, mériterait... me semble-t-il, un hommage... plutôt silencieux à son silence, à ton silence, Hubert, j'allais dire, puis... je le dis..., en essayant de me rapprocher au possible de ce silence... Silence sans oubli... ?
..."Silence sans oubli... ?"... Des questions comme ça, en tout cas, du fait de ne pas trop savoir comment dire, de ne pas trop savoir comment exprimer au mieux ce que l'on sent qu'il faut dire, puis... la chance de trouver, par rapport à ces questions, moi, les réponses justes de l'ami..., ce dialogue-là lors d'un beau printemps parisien, il y a une quinzaine d'années de cela, un peu plus..., touchés l'un et l'autre, de temps à autre, par de petits rayons de soleil, si je m'en souviens bien... Un dialogue comme ça, je veux dire, aura pointé en quelque sorte, en ce qui nous concerne, une relation brève, mais empreinte de la joie d'écrire à deux, entre ces deux langues, par ailleurs, comme nous découvrions que nous pouvions faire, ensemble.
Le résultat visible et tangible aura été encore quelque chose de petit, on n'aura pas eu le temps de poursuivre, l'interruption plus que dramatique de la vie d'Hubert décidée par lui aura interrompu ce travail dont il est resté néanmoins une première trace : la traduction du "Cecil Taylor" de César Aira, une biographie imaginaire du jazzman du même nom, un peu à la Alain Gerber, qu'allait publier la revue Europe (N°820-821, août-septembre 1997, p.151-161), après des péripéties dont le récit minutieux devrait être écrit suivant, probablement, le modèle du texte en question, ne serait-ce que pour susciter le rire de Hubert, venant, probablement, de ce ciel que Youri Gagarine, quant à lui, disait ne pas avoir trouvé dans l'espace de son parcours...
Je vous livre, lectrice, lecteur, ci dessous ce texte "Histoire" tel qu'il est écrit en espagnol, ayant traduit en français, pour l'instant, seulement les premières lignes, puisqu'il est temps que je me taise maintenant...
... Puis je dis Le Khaïm encore, ces deux mots que l'on dit dans cette autre langue de mes ancêtres lorsque l'on trinque, avant de boire, aussi bien dans la joie que lors de certaines occasions solennelles où d'autres mots ne viennent pas à l'idée, ni à l'esprit, ni à la bouche, ni à la plume, ni au clavier sur lequel on tape... On dit alors Le Khaïm, en effet, je dis Le Khaïm alors, puis j'essaie de traduire cela encore, pour terminer, c'est moins difficile... : "Pour la vie".
Historia
pour Hubert Stérin
Lo pobre o chiquito o representado a veces al sol, bajo el sol con la figura de
un hombre delgado y tenaz ante el mayor de los poderes o la figura,
justamente, de un chiquito, pensaba, debe ser inequivocamente protegido,
por supuesto, ademàs de preservado al sin embargo crecer, enriquecer :
supuesto que queda como etimologicamente debajo, de base, y como tal
sobreentendido, pero que se vuelve ostensible cuando, de terror, ni se crece
de veras ni nadie verdaderamente se enriquece hasta que alguien, en algun
momento, pensaba, lo volviera a entender, a reconocer.
(M.S., Paris, Mai 2008)
Poivre et sel
Marie-Christine Clément
Poivre et Sel sont nés dans le même lieu, de la même mère, le même jour : Poivre arriva un quart-d'heure après Sel, quart-d'heure fatal d'attente dont il ne se remit jamais.
Un jour de Noël, le dernier avant sa mort, Poivre offrit à Sel deux petits récipients en porcelaine noire, accompagnés chacun d'une petite cuillère blanche, destinés à recevoir du poivre et du sel. Sel fut un peu surprise de ce cadeau de Poivre, qui lui paraissait incongru venant de sa part ; il n'était pas du genre à faire des cadeaux ménagers. Elle ne comprit pas, mais accepta et remercia. "Décidément, il n'y a rien à tirer de Sel : elle ne comprend rien" pensa Poivre avec une certaine amertume.
Un soir du mois de septembre suivant, à un retour de "grandes vacances", (le grand vide...), Sel trouva Poivre mort chez lui : il était renversé en arrière sur son lit, les mains en suspens dans l'air à quelques centimètres du fusil avec lequel il s'était tiré une balle dans le coeur.
"Vous ne pouvez rien pour moi et je ne peux rien sans vous" avait-il écrit un jour.
Sel et Poivre allaient ensemble mais ne pouvaient rien l'un pour l'autre ?
Dans les jours qui suivirent, de nombreux amis de Poivre se manifestèrent, et vinrent lui rendre hommage au moment de la dispersion de ses cendres sur la pelouse du Jardin du Souvenir au cimetière du Père Lachaise. Beaucoup ne se connaissaient pas. Ils prirent un pot à la sortie du cimetière, quelques-uns se revirent à quelques reprises. Sel reçut de nombreux courriers, de gens qui avaient connu Poivre et dont elle ignorait auparavant l'existence.
Poivre n'avait pas laissé de lettre explicative, mais des carnets, des romans, des poèmes, des peintures, des dessins... Sel, secouée par cet événement qui faisait disparaître celui qu'elle avait côtoyé comme sa moitié complice pendant toute son enfance, parcourut ces documents et les rangea.
Les années passèrent...
Sel pensait souvent à Poivre. Elle s'interrogeait sur ce qui l'avait amené à ce geste fatal, lui qui était son frère jumeau avec lequel elle avait partagé tant de jeux et de fous-rires enfantins, lui qui, adolescent, lui envoyait des lettres si drôles quand elle était partie un peu avant lui à Paris pour ses études, lui qui, à 18 ans, était beau, intelligent, plein d'humour et de fantaisie.
Leurs chemins s'étaient peu à peu éloignés : elle était devenue médecin, s'était mariée, avait eu des enfants. Il avait choisi la vie d'artiste, une voie exigeante, sans compromis. Ils voyaient de temps en temps, rencontres alternant avec de longues périodes de silence au cours desquelles il ne donnait pas de nouvelles. Elle ne savait pas trop de quoi il vivait, comment il vivait, avec qui il vivait. Elle ne voulait pas l'importuner. Le dialogue était difficile. Elle lui disait "Viens quand tu veux..." Il entendait "c'est à toi de vouloir..." Elle s'inquiétait pour lui. Elle l'avait vu pour la dernière fois fin juillet avant de partir en vacances. Ils s'étaient donné rendez-vous à Montparnasse pour aller au cinéma voir "Faces", un film de J. Cassavetes. Elle était un peu en retard et il avait refusé d'arriver après le début du film. Ils avaient donc dîné d'abord et vu le film ensuite, film qu'il avait beaucoup aimé. Ils s'étaient quittés sur le trottoir : elle partait en vacances, lui rentrait, seul, chez lui.
Peu à peu, le désir de Sel d'aller voir de plus près les oeuvres de son frère se fit jour : elle déroula les toiles peintes, des peintures-collages sur cartons d'emballage. Au dos de certains étaient notés soit un chiffre romain, soit le mot "gémellité" (il s'agissait de tableaux où étaient représentés entre autres formes comme des haricots...). Quelques oeuvres avaient souffert des déplacements successifs et étaient un peu abîmées. Elle découvrit nombre de dessins plus anciens, encre de Chine et aquarelles, toute une série illustrant "Le Dit du Vieux Marin" de Coleridge, une autre accompagnant une création poétique "Vanaïre". Elle fit tirer sur papier des diapositives prises par Poivre : le résultat était impressionnant de force. Elle décida de photographier tout ce que Poivre avait réalisé.
Elle se mit à transcrire sur ordinateur, quand elle en avait le temps, les textes des carnets laissés par Poivre : elle y découvrit des notes de voyage, des réflexions philosophiques, politiques, des poèmes magnifiques, des fantaisies de langage, de très nombreux croquis au stylo-bille : portraits, graffiti. Il avait des enthousiasmes pour des textes, des auteurs, l'espoir de parvenir à faire une oeuvre reconnue, des moments de bonheur, d'exaltation quand l'écriture venait, ou quand une rencontre, amicale, amoureuse, intellectuelle, artistique, lui ouvrait à nouveau des horizons inattendus. Sel découvrait au fil des pages l'énergie formidable déployée par Poivre pour exister sans compromission dans une société qui le révoltait, pour vivre comme il l'entendait pour l'Art, l'Ecriture, la Poésie quel qu'en soit le prix. Elle découvrait son extrême sensibilité, son immense culture. Poivre avait beaucoup lu, beaucoup appris, beaucoup observé : il critiquait, commentait, argumentait sans complaisance.
Mais étaient inscrits aussi, dès les premiers carnets puis revenant de façon lancinante, la difficulté de vivre, le sentiment d'être profondément extérieur au monde : "je ne suis pas "mal dans ma peau", je ne suis pas dans ma peau", le désir et l'impossibilité à communiquer, le poids de la gémellité, l'idée de la mort, du suicide.
Sel découvrait l'intensité effroyable du désespoir et de la solitude de Poivre, et se demandait même comment il avait tenu bon pendant tant d'années si difficiles : la torture de l'espérance.
Des prénoms, des noms, des initiales ponctuaient ces carnets : Sel fit des recoupements, rechercha des adresses. Elle avait envie de rencontrer tous ces gens qui avaient connu Poivre pendant les nombreuses années au cours desquelles il s'était éloigné de la famille, pour apprendre à le connaître, avec le sentiment qu'elle était passée à côté d'une vrai relation. Un jour, elle reçut une invitation à des journées du patrimoine à Fabras en Ardèche, à laquelle était joint un bon de commande de livres des Editions du Pin. Deux noms lui furent familiers : Christian Bontzolakis et Patrick Combes. Sel leur écrivit. Ils se rencontrèrent et eurent envie ensemble de retrouver, de partager et faire partager la mémoire de Poivre...
(M-C.C., Hubert Stérin, peintre et écrivain, Edition du Pin, 2008)
Un oncle
Antoine Wallois
Vents et tourments au sein de la mer et terres paires : antédiluvienne annonce d'un temps sans faim de plaire.
A l'atterrissage comme déjà au décollage, ça tisse, ça toile, ça crayonne... mais est-ce pour autant qu'en plein vol des âges, ça colle, ça cadre, ça cartonne...
Nu-le besoin de chercher un visible ou un dicible dans ces visages peints, l'homme nu, prière d'une vie d'un dessin.
Au re-voir ce regard, le bon-jour d'un soir d'art.
Inouïe poésie qui, comme un cri, fendit le si-lence non sans un oui existendi !
Rouge de sang, lutte entre noir et blanc.
Enfin la chanson de la rupture, l'heure de l'écriture ?
(A.W., Septembre 2019)
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